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Noces d'or avec ma spondylarthrite

Ça se fête ! En l’épousant à mon insu, j’avais failli rater à cause d'elle  le mariage de mon parrain qui eut lieu le jour de mes dix ans, le 26 décembre 1964. Pour cause de genou gonflé et douloureux. Mais ce 7 février 2015, je fêtais les noces d’or de mon parrain, en boitant, bien sur. J’ai eu soixante ans en 2014. Je vais assez bien en ce mois de 2015, mais déjà cinquante années de ma vie sont marquées du sceau de la polyarthrite (spondylarthrite ankylosante encore, et plutôt spondylarthrite axiale et périphérique aujourd'hui ). Que serais-je, que ferais-je aujourd’hui si je n’avais pas été touché par cette maladie ? Comment vivrais-je, que penserais-je, quel métier ferais-je et quels seraient mes rêves ? A quel point serais-je différent de ce que je suis ? 

Quelques années plus tôt, j'étais allé sur un site Internet dédié à la polyarthrite où j’ai lu des témoignages qui m’ont bouleversé. Mon témoignage est-il un encouragement pour ceux qui souffrent, vais-je le publier, ou bien restera t'il dans cet ordinateur ? Peut-il aider mes semblables en maladies chroniques à vivre ? Ce 4 août, je le publie sur une page du blog ... sans bruit d'annonce.

Où j’en étais en février 2015 ...

 Je marche avec une certaine difficulté, mais je marche et même je randonne en petite montagne sur cinq ou six kilomètres, alors qu’en 1982, il y a trente-trois ans j’avais toutes les peines à parcourir deux cents mètres d’un trait. Mes hanches ont été remplacées par des prothèses, mes vertèbres cervicales ont subi une opération délicate, mes yeux ont souffert. Peu d’articulations sont indemnes et même ma mâchoire a été atteinte. Et mon équilibre psychique a été fortement malmené par des épisodes de douleur extrême. Aujourd’hui, en mars 2015, je sors d’une opération d’une épaule, prothèse totale inversée. Il y a un an et deux mois, une uvéite (inflammation oculaire) m’avait conduit à l’hôpital quelques jours.

Voici l'histoire depuis son début.
 

Une maladie d’abord supportable

Lorsque je remonte dans mes souvenirs, je me rappelle de mes genoux enflés et bloqués à dix ou onze ans. J’avais droit à des injections d’antibiotiques que je redoutais. Ces épisodes étaient assez courts et mon médecin pensait à un rhumatisme aigu qui aurait pu toucher mon cœur. Je ne me sentais pas malade et dès que l’épisode était passé, je recommençais à courir et à faire du vélo. J’étais toujours dispensé de gymnastique et de sport, mais je voyais ça plutôt comme une aubaine. Le sport n’était pas la valeur qu’il est aujourd’hui. Je ne faisais pas souvent de sport en sixième et en cinquième avec les copains. Plus du tout en quatrième et par la suite. Mes cousins jouaient au foot le samedi ; j’aimais la pêche, heureusement.
La maladie s’approfondissait tout doucement sans que je m’en rende vraiment compte. En plus des genoux, j’avais mal à un orteil ou à un doigt en quatrième. Je regardais le foot sans participer. Je ne me souviens pas à l’époque de m’être inquiété pour mon avenir. J’avais des résultats scolaires corrects et l’on ne  me dirigeait pas vers un avenir de travailleur manuel. Dès la quatrième j’étais coquet et je m’appliquais à ne pas boiter quand je regardais les grandes de troisième.
Je devais être en cinquième ou en quatrième quand ma maladie fut qualifiée de polyarthrite rhumatoïde par le docteur Phillipot, rhumatologue à Bourg-en-Bresse. Commencèrent alors les séries de sels d’or interminables dont on ne sut jamais si elles étaient efficaces. C’était la corvée du samedi matin. Après quoi j’allais prendre un café chez mon adorable grand-mère à qui je racontais mes petites aventures amoureuses.
A dix-sept ans, je boitais déjà d’une manière significative, mes hanches étaient bien atteintes. Mais je ne vivais pas dans la peau d’un malade. J’avais une petite moto, mes copains faisaient de la compétition cycliste sans moi, j’avais en général une petite amie. Je me souviens que le mercredi après-midi, au lycée, nous avions sortie libre pour les internes, et je tachais de faire la moins grande distance possible à pied. Je demandais toujours à mon médecin des ‘’fortifiants‘’ car je me sentais souvent fatigué et je dormais mal.


Pour affronter les épreuves du baccalauréat, je voulais être en forme et j’avais demandé au docteur Phillipot de me soulager au mieux. Je souffrais particulièrement des orteils et il me fit des infiltrations de cortisone. Je me souviens que ce fut douloureux et peu efficace. Mais j’eus le baccalauréat. C’était en 1973.
J’étais amoureux et je mis fin à mes études supérieures juste entamées, fis un petit boulot puis j’obtins un travail dans une coopérative agricole. Les premiers mois, j’eus un boulot un peu physique puis un poste mieux adapté à mes possibilités. Passent trois ou quatre années durant lesquelles je fais souvent des fêtes alcoolisées … et je continue à additionner les sels d’or. Nous avions essayé d’autres traitements de fond sans effet notable. Mon estomac en béton supportait toujours les anti-inflammatoires


La chute

Je décidai un jour de changer de travail, en 1977, à la suite de difficultés relationnelles dans mon emploi. C’est peut-être la chose que je regrette le plus, car je venais de traverser une période faste durant laquelle j’avais pu faire un peu de sport. Je pensais que peut-être mes rhumatismes allaient en rester là. Jusque là j’avais certes des rhumatismes, mais ma vie en était relativement peu perturbée et je ne me sentais pas malade. Avant d’avoir la responsabilité de la comptabilité de cette petite coopérative, je passais par le poste magasin où il fallait souvent charger des sacs de cinquante kilogrammes, des bouteilles de gaz.
Je travaillais quarante-quatre heures et souvent un peu plus. J’avais du mal à récupérer le samedi après-midi et le dimanche. Je commençai à souffrir violemment du dos la nuit. Je devais passer une heure ou deux dans un fauteuil pour que ma copine puisse dormir … En fait, c’était parti pour un très long chemin de croix.
Après les douleurs nocturnes du dos, un genou enfla comme un ballon de football, qu’il fallait ponctionner puis gaver de cortisone. Cela me donnait quelques jours de répit, puis il fallait recommencer … la synovie sous pression giclait quand le médecin plantait l’aiguille.
Mes nouveaux employeurs me conseillaient d’abandonner ce travail pour ma santé et probablement pour la leur aussi, car ils devaient se partager mon travail en plus du leur pendant mes périodes d’arrêt de travail. Ma petite amie m’avait rejoint à Villars les Dombes, mais notre séjour ne devait durer que trois ou quatre mois.
Je commençais à redouter un engrenage infernal. Je cessai mon travail mais refusai de démissionner sans alternative. Puisque je voulais reprendre mes études on me conseilla à l’ANPE de poursuivre dans le domaine agricole. Je serai donc technicien supérieur en agriculture. Après avoir été retenu dans une école privée, je traversais une période angoissante, car chaque semaine je devais demander qu’on me donne un délai supplémentaire car mon état physique ne me permettait ni de conduire, ni de travailler. Je redoutais que l’on me dise qu’il était trop tard pour prendre en marche l’année d’étude. Alors j’y allai dès que cela parut moins impossible, dans un état absolument pitoyable.
Je souffrais alors de nombreuses parties de mon corps et après les deux heures de route qu’il me fallait pour me rendre dans l’Isère à Anjou, il me fallait souvent une heure ou plus pour arriver à quitter mon pull-over, seul dans ma chambre, seul dans ce vieux château. C’était des moments de pure misère qui conjuguaient douleur physique, solitude absolue et absence de tout. Le désespoir parfois m’arrachait des sanglots. Mais je n’aurais pas eu la force d’attaquer les cours le lundi matin juste après deux heures de conduite et j’amputais donc chaque week-end.
J’oubliais la douleur pendant les cours, l’agriculture me plaisait et même me passionnait. Comme l’immobilité maximum était ma règle de vie et presque de survie, il n’y avait pas une page de revue agricole qui échappait à mes investigations.

Fatigue totale

Une immense fatigue s’ajoutait à des douleurs multiples dont les pires atteignaient mes vertèbres cervicales. Je me revois dans cette cour de gravier blanc, le soleil qui ne me réchauffe pas, et l’envie que j’ai de me coucher et de ne plus bouger, d’être en apesanteur. Mais je ne peux me coucher au sol, et si je pouvais le faire, me relever aurait été impossible sans aide. Je crois que vers le printemps les choses se sont un peu améliorées et j’ai recommencé à rire parfois. Tout le monde autour de moi essayait de me faciliter la vie. J’étais obligé de faire tous les gestes très lentement pour ne pas avoir trop mal. Si je faisais tomber un crayon ou toute autre chose, je ne pouvais pas le ramasser.

Sorciers et faux médecins

Cette période de grosse souffrance de 1977 à 1980 pendant deux années d’étude a aussi été une recherche de guérison dans tous les sens. Dans l’été j’étais parti en fort mauvais état, un bras badigeonné de gel corticoïde et bandé, pour un périple de 1400 km au moins de Bourg-en-Bresse à Pau puis retour, à la rencontre d’un guérisseur miraculeux, qui m’annonça au bout d’une consultation de moins de quinze minutes qu’il m’avait guéri. Je l’ai presque cru mais je suis quand même passé à Lourdes boire un coup à la source miraculeuse, bien que je sois un athée convaincu. On ne sait jamais, mieux vaut guérir deux fois que jamais.
« C’est en vivant sainement que l’on doit guérir » , me suis-je dit aussi, influencé par un camarade végétarien : j’eus donc ma période bio et saine, jus de carotte et huile d’olives, pas beaucoup de viande et surtout pas de viande rouge. J’avais même arrêté de fumer pendant un an.
Un médecin bizarre de la région lyonnaise m’injecta ensuite des cultures de cellules dans l’épaule, soulageant principalement mon petit porte-monnaie. C’est sans  doute à cette époque aussi que j’apportai mon soutien financier actif et hebdomadaire à un magnétiseur d’Annecy. Ces deux là au moins ne m’avaient pas assuré de me guérir. Le guérisseur d’Annecy vivait sur un grand pied, dans une magnifique maison surplombant le lac. Ais-je eu pour mon argent d’espoir, je ne sais pas, mais je combattais.
Le moins idiot que je fis fut peut-être un essai infructueux en direction de l’homéopathie, sans succès. Je portai aussi un bracelet magique, des marrons dans les poches, et j’en oublie des pires.
Tous ces délires ont peut-être permis que je ne craque pas complètement, mais mon comportement révélait mon état physique et mental du moment. Cela me donnait probablement l’impression de me battre, de telles douleurs étaient le signe des dégâts que subissait mon corps ; il  fallait tenter des choses. Ma polyarthrite me mangeait la vie et me mangeait tout court.
Retrouver chaque week-end mon amie m’aidait à vivre. Je crois que la solitude additionnée à la douleur aurait été de trop. Si mon horizon me paraissait parfois effrayant, je n’étais pas seul. Il est impossible à tous ceux qui m’ont entouré d’imaginer à quel point ils étaient nécessaires, comme l’air que je respirais. André-Jean, Nicole, Josiane et plein d'autres …

Un job en or

Heureusement, j’obtins mon diplôme et ce fut une grande joie. J’avais rêvé du métier de conseiller agricole mais je le pensais réservé à une élite d’ingénieurs. Certaines chambres d’agriculture ouvraient ce poste à des techniciens supérieurs ayant de l’expérience. Diplômé et chômeur, au volant de ma 4L vert laitue, je traversais la France de long en large au gré des entretiens, arrivant toujours la veille pour paraître en forme, bourré d’antalgiques pour boiter le moins possible devant les décideurs. De l’Ain à Rouen puis à Aurillac dans le même périple. Le  Cantal accepta de m’accueillir. J’y suis encore.
Ce travail de conseiller se partage pour moitié entre le bureau et les visites aux agriculteurs. Il s’avéra compatible avec mes moyens physiques, car on est quasi toujours assis et parce que je supportais de moins en mois  longtemps la position debout. Je serrais les dents pour rentrer dans la voiture et encore plus pour en sortir.
Ce métier génial m’a beaucoup aidé, m’a beaucoup apporté. C’est l’autre versant de ma chance. Un travail qui vous ‘’occupe’’ comme des envahisseurs occupent une terre vaincue, est un remède puissant. Un travail qui me passionnait.
Je pouvais travailler cinq ou six heures de suite à mon bureau, assis d’une manière très bizarre car mes hanches n’acceptaient pas un angle suffisant, sans penser à la douleur ou à la maladie.

Souffrance totale

Mais malgré ce job parfait dans le Cantal, j’allais mal, de plus en plus mal et je fus hospitalisé pour un bilan au CHU de Clermont-Ferrand. Et là que je devins un vrai malade. Mes yeux portaient des symptômes de ma maladie, mes hanches étaient au plus mal et bientôt je ne pourrais plus marcher. Et surtout mes vertèbres cervicales n’assuraient plus la sécurité de ma moelle épinière. On m’interdit de faire du vélo ou de plonger, ce que je ne pouvais faire de toute façon.
J’eus droit à une inutile biopsie du genou pour l’entraînement des petits jeunes, et l’interne n’en menait pas large en plongeant la fine lame, puis une sorte de tire-bouchon en inox dans le genou. J’entends encore le craquement de l’os, je revois le prélèvement sanguinolent qui descend dans le flacon, en libérant  une volute de gitane, dans les tons tequila sunrise.
On commençait à me préparer à l’idée que j’allais subir de nombreuses interventions dont une comportait de vrais risques et portait le joli nom d’arthrodèse OC2. Ou un truc comme ça.
Ce fut incroyablement terrible d’entendre tout cela, car je ne m’étais jamais perçu comme un malade, tout au plus comme quelqu’un souffrant fortement de rhumatismes. Les malades c’est les autres : pensez-y quand vous rencontrez les malades chroniques. J’aurais préféré être mort que porter toute cette angoisse. En fait il y avait quinze ans que j’étais malade, et je me ressentais, je me pensais encore comme un bien portant. Ces dix jours au CHU ont changé mon regard sur ma maladie définitivement, rendant la suite beaucoup plus difficile. J’ai rencontré là-bas des soignants très professionnels et souvent très humains. Je pense au professeur Levai, au Docteur Galtier, gentil et plein d’humour. Ce dernier, je le suivis du CHU à Cébazat, à 150 km de chez moi, bien qu’il me conseillât de voir un rhumatologue à Aurillac. Celui que je vis à Aurillac était d’un  contact si désagréable que je retournai à Clermont, jusqu’à l’arrivée à Aurillac du Dr Hélène Mizonny.

L’expérience de la dépersonnalisation

En 82 je crois, je revins quelque temps après ces dix jours pour un court mais terrible séjour au CHU de Clermont. Nous avions décidé, pour pouvoir repousser les opérations des hanches, de procéder à des injections d’acide osmique qui me redonneraient pour un certain temps de la mobilité. J’arrivai la veille et le grand jour nous eûmes droit –nous étions deux patients- à un transport interminable en lit.  Un médecin m’accueillit protégé d’un baudrier pare-balle et antiradiations. Etait-ce douloureux ? Il m’assura que ça chauffait un peu et je pus suivre le trajet de l’aiguille en direct à la télé, le marquage à l’encre noire pour être certain d’injecter au bon endroit. Et il commença à injecter. Lorsque je sentis la douleur, je compris en une fraction de seconde qu’il s’était trompé de produit, tout explosait, tout s’éparpillait comme un puzzle qu’on défait. Je me demandais si ce qui se passait était vrai, si c’était à moi que ça arrivait, si j’existais et si les gens autour de moi existaient. Ma pensée, ma personne explosait. Et comme j’avais deux hanches … On me disait très fort de respirer, qu’il fallait respirer, et je me rappelle la détresse sur le visage d’une infirmière.
Lorsque les choses commencèrent à se réorganiser en moi, j’étais à nouveau dans mon lit dans l’attente du transport, et je me mis à pleurer doucement ; j’étais revenu dans moi-même. Arrivé dans la chambre des personnes se hâtaient et m’injectèrent très vite un calmant. L’aiguille n’était pas encore sortie de mon corps que le plafond de ma chambre virevoltait.
C’était il y a plus de trente ans. Pendant plusieurs années je n’ai pu en parler sans pleurer. Les larmes me viennent aux yeux en le lisant. Heureusement je n’ai pas connu d’autre moment aussi douloureux. Une amie médecin et son compagnon avaient emmené Christine dans le midi quelques jours. Elle ne fut pas affectée par cet épisode terrible. Annie avait ainsi réussi à combiner  le rôle de l’amie et de la professionnelle.
Pendant quelque mois, je marchai mieux. Mais j’avais rencontré sans savoir le nommer le syndrome de dépersonnalisation. La douleur avait gravé dans mon cerveau des traces qui équivalent probablement aux séquelles physiques d’un accident et qui allaient se rappeler à moi.

Risque vital

Il fallait donc s’attaquer à cette arthrodèse OC2. Elle était nécessaire mais l’opération était dangereuse. Le professeur Levai la jugeait indispensable. Le professeur Teinturier pensait qu’il valait mieux attendre. Il justifiait sa position par le fait que si la maladie évoluait encore dans cette zone, il serait ensuite impossible d’agir à nouveau. Parce que le professeur Levai était plus jeune et plus abordable, ou alors pour une raison qui m’échappe, je me sentais plus enclin à l’écouter.
Hormis le fait que la matière était du plastique, l’armure que je me fis construire aurait fait pâlir un chevalier du moyen âge tant elle était seyante et ajuste, me couvrant du sternum au menton et jusqu’à mi-crâne à l’arrière. Cet engin sur mesure me foutait la trouille, même avec l’aménagement pour une libre circulation de ma pomme d’Adam proéminente.
Grâce à cette arthrodèse, on pourrait ensuite m’opérer sans trop de danger des hanches ou d’ailleurs. Terrible programme pour ce début des années quatre-vingt, à l’aube de mes trente ans. Mon travail m’apportait toujours beaucoup de satisfactions.
Je me savais désormais à la merci d’un choc violent. Il m’arrivait d’y penser sur les routes enneigées à mille mètres d’altitude que je parcourais chaque jour. Mais rouler était devenu un calvaire pour une raison plus prosaïque. Les tendons qui maintiennent la tête à sa place, si je puis l’exprimer ainsi, devaient fournir un travail énorme pour compenser la destruction du tenon qui solidarise deux vertèbres. Au bout de quatre ou cinq kilomètres, j’avais très mal ; et Aurillac, où j’allais pour le travail une ou deux fois par mois environ se trouvait au bout de soixante-quatre kilomètres de virages. C’était très dur. Je passai tout près de la paralysie lors d’un faux mouvement qui propagea dix mille volts dans tout mon corps. Le stress fut si violent que je dormis tout l’après-midi. Le lendemain, ma main droite ne m’obéissait pas et ce j’écrivais était illisible. En quelques jours les choses s’arrangèrent mais cet avertissement sans frais m’encourageait à accepter l’opération.

J’avais aussi perdu le bénéfice de l’injection d’acide osmique dans les hanches et ma position de conduite rappelait de plus en plus la F1. Mes revenus avaient progressé et m’avaient permis heureusement d’abandonner la 4L verte pour une meilleure voiture. Mon épouse avait trouvé un travail auprès d’handicapés qui la satisfaisait pleinement.

A cette époque, on me prescrivit avec mon plein accord au CHU un médicament nouveau sous numéro qui m’obligeait à un contrôle sanguin hebdomadaire. Ceci dura quelques mois parmi les plus mauvais de mon existence. Mon état ne s’améliorait pas, au contraire. Je maigrissais sans que les médecins généralistes chargés de mon suivi ne se souviennent qu’il fallait surveiller la fonte musculaire. Les analyses biologiques restaient correctes et donc je continuais à prendre ce médicament. J’étais tellement à bout que je pleurais très souvent d’épuisement physique et nerveux.  J’étais incapable de me projeter dans l’avenir : prendre mes rendez-vous de travail ressemblait à de la tromperie : pourrais-je faire le boulot ?  Ca me paraissait incroyable qu’on me demande mes projets de formation  pour dans six mois … ou quels étaient mes projets professionnels. L’idée de la mort m’accompagnait en permanence. Elle s’était installée en moi tout doucement, à peine effrayante car elle ne paraissait pas imminente. Les week-ends ne me permettaient pas de récupérer de ma fatigue. Tout était difficile, m’asseoir me faisait horriblement mal tant j’étais décharné, me lever, faire un pas était un énorme effort. Bientôt j’aurais dû cesser mon travail, me coucher. J’étais au bout du rouleau. Un jour je jetai ces maudites boites que je m’étais mis à soupçonner d'être responsables de ma décrépitude. Je ne pesais plus que quarante-neuf kilos pour un mètre soixante-dix. Des voisins m’ont avoué quelque temps après qu’ils me pensaient atteint d’un cancer  des os et qu’ils me plaignaient. Chaque chose exigeait de moi un effort de volonté énorme. Je ne voulais pas cesser le travail car je n’aurais pas l’énergie nécessaire pour me relancer ensuite. Au bout de huit ou dix jours après avoir stoppé ce traitement sans aucun avis médical, j’allais un peu moins mal. Je pense néanmoins qu’il faut essayer des traitements, qu’ils soient anciens ou nouveaux. Simplement, en montagne dans une zone peu peuplée, on dispose de moins de sécurité qu’ailleurs. J’aurais été près de Clermont-Ferrand, cette tentative malheureuse aurait été écourtée.

Et puis le grand moment arriva et j’entrai au CHU un ou deux jours avant la date de l’opération. Un ami était venu accompagner Christine le temps de l’opération. Les préparatifs ne furent pas marrants car on me rasa le crâne, laissant juste une mèche sur le front. Les infirmières suggérèrent de la couper, ainsi que Christine. Je refusai obstinément, car je ne voulais pas être enterré sans mon scalp pour le cas où ça se passerait mal. Le soir Christine rentra dans un foyer pour les familles des hospitalisés et quoi qu’elle ait dit, elle ne devait pas en mener large. Je passai des moments étranges et terribles ce soir-là. Je ne pouvais plus fuir, ni combattre, j’étais défiguré avec ma tête rasée et l’idée de mourir ainsi me rendait encore plus démuni. Mon crâne était emballé de belle manière. J’étais seul et j’avais besoin de réconfort  face à l ‘éventualité de ma mort.  J’ai attendu Dieu, attentif à toute voix intérieure, tout signe. Mon écoute était au paroxysme, mais rien n’est venu. Il avait d’autres chats à fouetter. Je me sentais minuscule, mon destin m’échappait. J’ai pleuré puis j’ai dormi.
Une chose me paraît incroyable maintenant : ce que j’aurais dû redouter le plus était une paralysie. Mais cette idée est sans doute tellement terrible que je ne crois pas l’avoir jamais formulée. Notre inconscient (subconscient ?) a de sacrées stratégies de défense.
L’opération s’est bien passée. Je ne dormais pas encore en arrivant au bloc. Je me souviens ensuite d’une sensation de draps brûlants que l’on met sur mon corps en salle de réveil. Dans la chambre quand je reviens à moi Christine est là avec un tout petit visage, et Jeannot. Elle me dira plus tard qu’elle a eu un choc quand je suis arrivé de la salle de réveil. J’avais tout l’air d’un mort. Putain ! Je suis vivant et je fais bouger une main. Christine me lit une carte de Jean-Michel qui était à Lourdes. Ils ont prié pour moi. Cela me rend joyeux et hilare car je suis sous l’emprise des produits anesthésiants, salement shooté. On me fait un calmant avant que la douleur ne s’installe … Je fume un peu plus tard une cigarette que Christine tient pour mois car je suis un peu branché de partout. Je pense un instant que l’opération ne s’est pas déroulée comme prévu car je ne souffre pas du dos, là où l’on aurait dû prendre le greffon. Un médecin qui passe dans le couloir vient jeter un œil et son sourire quand il me voit tirer sur cette cigarette est un bon présage. On a bien pris un greffon, j’ai seulement la chance de ne pas avoir mal.

Je rentrai douze jours plus tard dans le Cantal.


Mort imminente, dépersonnalisation

Je croyais avoir repris des forces. Et bien pas assez, car il fallait que j’aille dormir trois fois dans la journée, et les conversations m’épuisaient très vite. Les radios de mon opération avec vis de cinq ou six centimètres, les fils métalliques, le bout d’os rajouté, tout ça semblait terriblement bricolé, mais je sentais que c’était du bon travail.
Un après-midi quelques semaines plus tard j’eus des sensations qui m’effrayèrent au plus haut point. Cela commença par des picotements dans une jambe, puis les deux, pour évoluer vers des douleurs tenaces dans les cuisses, et une sensation de paralysie. J’étais seul chez moi, Christine travaillait. Je restai des heures cloué dans ma chaise longue, mort de trouille. Je dus passer une radiographie qui me rassura sans rien expliquer. Il me faudrait deux ans ou trois encore pour comprendre ce qui m’était arrivé.
Mon  absence du travail pendant quatre mois n’empêcha pas le petit monde agricole de Pierrefort de tourner parfaitement bien. Cela me désappointait bien un tout petit peu car il me semblait que je faisais plein de choses indispensables. J’eus beaucoup de visites de la part des gens avec qui je travaillais. Avec un copain vétérinaire, nous lançâmes une petite enquête ‘’éco-pathologique’’ sur les maladies des veaux, pour mon job et ma reprise.  Je consacrai beaucoup de temps à la création du questionnaire car  le temps était devenu une denrée abondante.

J’avais franchi un cap difficile, je voulais croire que les choses n’iraient pas aussi mal désormais. J’avais fait le plus dur en acceptant de risquer ma peau, et la pulsion de vie était à nouveau forte en moi. Certes je marchais difficilement, ma hanche gauche était presque bloquée mais ma tête était bien accrochée sur mes épaules. Abandonner la minerve me donna l’impression d’être nu ; je tournais à peine la tête car j’avais peur de tout casser … et elle était sévèrement bloquée.

L’opération de la hanche gauche eut lieu l’année suivante. Je n’eus pas trop peur, pas trop mal. Je faillis néanmoins repartir quand on m’assura qu’on ne pouvait pas me donner une chambre seule. Je l’eus quand même au retour du bloc opératoire. Ma pudeur ne me permet ni de chier ni de souffrir en public. Un ami nous accompagnait pour le jour J. Robert.
Trois mois de vacances encore. On ne m ‘a jamais fait de remarque maladroite sur ma santé dans cette chambre d’agriculture. Nettement moins affaibli que par l’opération précédente je parvenais à m’occuper de temps à autre des projets ou des difficultés de quelques agriculteurs. C’est assez sympa de bosser juste un peu, juste si on veut, juste avec qui on veut, et même pas pour l’argent.

Mon kinésithérapeute ne connaissait que des méthodes rustiques et me faisait soulever des poids sans arrêt.  Une remplaçante pratiquait des méthodes beaucoup plus douces mais ne comprenait pas que je progresse si peu. Les kinés que j’ai pratiqués alors m’ont toujours paru des bœufs à la compétence et à l’intelligence limitées, et ça a du être réciproque. A part que je n’ai rien d’un bœuf et que j’ai une intelligence particulièrement vive.

Un jour comme un autre, je roulais sur la départementale sinueuse qui mène à Aurillac et d’un seul coup je ne sus plus où j’étais (plus qui non plus, une fraction de seconde), ni ce que je faisais là, ni où j’allais. Croyez-moi, ça fait de l’effet. Je ralentis, mon cœur battait la chamade. Bientôt je me rappelais chez quel agriculteur j’allais, et le but de ma visite. Je ne crois pas que j’en parlai à qui que ce soit cette fois-là. Une autre fois, je fus frappé en plein  milieu d’une phrase au cours d’une réunion de travail. Nous étions sept ou huit autour de la table et entre deux mots, coupure totale. Je ne sus plus ce que je voulais dire, ce que j’avais dit, de quel sujet nous parlions. Je compris qu'il m'était "arrivé quelque chose " mais je parvins à masquer ma terreur. Personne ne m'a jamais parlé de cet incident. Être malade, c’est dissimuler.
Je crois que je parlai de cela au Dr Hélène Mizonny qui me conseilla de voir un psychiatre. Il m’expliqua ce symptôme qui me parut le plus terrifiant de tous. Je ne sais pas si je fis rapidement le lien avec l’injection d’acide osmique et la dépersonnalisation liée à la douleur. J’avais lu dans un reportage que les personnes qui avaient été torturées gardaient parfois toute leur vie le syndrome de dépersonnalisation. Comme le nom a l’air sympathique, je n’imaginais pas  une chose aussi terrifiante. Depuis j’ai mangé des kilogrammes de Lysanxia. C’est bleu et ça marche. Mais j’ai aussi appris beaucoup sur moi-même grâce au bon docteur L., psychiatre de son état.

Avoir un enfant 

J’y pensais souvent, mon épouse commençait à y penser et dans un moment d’allégresse nous décidâmes d’avoir un enfant. Il y a déjà bien longtemps, j’avais posé la question au docteur Doline qui m’avait assuré qu’il n’y avait pas de risque tant les multiples combinaisons d’un système immunitaire excluaient cela. J’étais la seule personne atteinte de cette maladie dans ma famille aussi loin que je remonte ou que je m’étende. Je ne voulais pas prendre le risque pour notre futur enfant. Les réponses d’autres médecins étaient plus circonspectes.
Notre fils a vingt-neuf ans et n’est pas atteint de rhumatisme. J’eus pourtant très peur un soir alors qu’il avait presque dix ans, lorsque je rentrai du travail. Mon épouse inquiète me dit que Pierre avait du mal à marcher, sans avoir mal aux jambes. Je crus mourir sur place, frappé par la malédiction. C’était un purpura et donc ce n’était pas rien mais une semaine plus tard il n’y paraissait plus.
Bien sur nous regrettons de n’avoir qu’un enfant mais à ce risque de transmettre la polyarthrite s’ajoutait le risque aussi grand ou plus grand que je devienne incapable de travailler.  Nous avons été sages en ce domaine et je trouve qu’il aurait manqué tellement de choses si nous n’avions pas eu d’enfant. Comme tous les pères quand mon fils est né, j’ai été fou de joie et il m’a fallu au moins une semaine pour que mes pieds retouchent le sol. J’étais transporté, tout simplement

Peu avant la naissance de mon fils je fus frappé une seconde fois par le syndrome de mort imminente. Je l’avais rencontré à mon retour de l’hôpital après l’opération des vertèbres cervicales sans le nommer. Il fut identifié par mon médecin généraliste. Je travaillais au bureau, tranquillement lorsque  j’eus des picotements dans les jambes, de plus en plus forts, puis des douleurs dans les cuisses de type sciatique rendant la marche quasi impossible. Mon cœur se mit à battre avec peine tandis qu’un poids énorme m’oppressait. A n’en pas douter j’étais en train de mourir d’une atteinte cardiovasculaire .Mon épouse enceinte jusqu’aux yeux m’accueillit à la maison et m’aida à monter les marches qui menaient à ma chambre. Les choses empirèrent et je compris que je serais mort avant que le médecin n’arrive, que je ne connaîtrais pas mon fils. Mon sauveur arriva à la course, et m’envoya dans les bras de Morphée d’un bon coup de Valium. Je fus persuadé alors que c’était le pire tour que pouvait faire notre inconscient mais l’avenir allait me prouver que non. Nous en avons ri le soir même et je l’ai pas eu de nouveau ce symptôme depuis … mais je sais que l’ai au catalogue.

Mon fils avait huit ou neuf mois quand je fus opéré de la seconde hanche. Encore trois mois de repos. Je marchai bientôt beaucoup mieux, avec toujours la peur de casser une de ces prothèses. Je pus aller à la chasse, pas longtemps, dans des endroits assez plats. Mais si les symptômes les plus durs étaient traités par la chirurgie, la maladie était toujours aussi présente, avec des signes biologiques toujours aussi sévères. Mais je pouvais conduire presque confortablement et tenir un peu debout. Il me semble avec le recul que les choses ont été moins dures après cela.

Plein les yeux 

Les uvéites atteignent les yeux et cette inflammation est plus ou moins douloureuse, et dégradent la vision pendant la durée de l’inflammation. Elles sont en lien direct avec la polyarthrite ou spondylarthrite et il arrive que des personnes aient des symptômes oculaires avant d’avoir des attaques articulaires. Pour protéger l’œil tant que faire se peut, il faut le dilater avec divers collyres et la vision devient nulle pour cet œil, avec une aversion logique pour la lumière vive. La conduite automobile est difficile avec un œil atteint, et impossible avec les deux. J’ai eu la chance de n’avoir jamais les deux yeux atteints en même temps. La dilatation protège l’œil des séquelles (j’ai quand même zéro à l’œil gauche avant correction) et les injections intraoculaires de cortisone luttent efficacement contre l’inflammation. Les années 97 à 2000 ont été dures pour moi, avec un épisode qui a duré plus de deux ans et il a fallu passer à la corticothérapie par voie orale, car mon excellent ophtalmo, le docteur G, se refusait à poursuivre les injections au-delà d’un nombre qui s’est effacé de ma mémoire. La cortisone a commencé à me donner le teint rougeaud des maquignons de mon enfance.
Si je vous dis qu’une injection dans l’œil, ça fait un drôle d’effet, vous me croirez. Mais ce n’est pas vraiment douloureux si l'oeil est bien endormi. Ça peut le devenir au bout d’une heure ou deux.

Cet épisode de près de deux ans m’a fait maudire le beau temps, avec pendant toute la journée l’impression que l’on éprouve face à la lumière brutale au réveil. Les soins exprimés en milligrammes de cortisone et le degré d’inflammation composaient une perpétuelle dent de scie avec les  baisses progressives des doses de cortisone : 20 mg, puis quand ça va mieux, baisse de 2.5 mg en 2.5 mg, puis de milligramme en milligramme . Et de remontées brutales à 20 mg à la rechute. Puis  on rebaisse progressivement et on recommence selon le degré de la maladie.
L’usure mentale à ce jeu-là était terrible et mon moral faisait aussi les dents de scie de très bas à plutôt pas bon. La lecture et l’écran d’ordinateur nécessitaient un effort considérablement accru, à fournir avec un potentiel physique réduit. Je « sentais » parfois que j’allais petit à petit perdre ma vue. Une année j’ai changé  trois fois de lunettes, pour résister dans une guerre qui ressemblait de plus en plus à une déroute. Mais je n’ai jamais cessé le travail plus de 3 jours.

            Quelques notes du ‘’livre de bord ‘’:
Le 10 février 2000 je note – car je devais aussi tenir un mémoire pour mon médecin-« après cortisol correct, suppression de 3 (je crois, difficile à lire) mg de cortisone depuis une semaine . Forme moyenne à très bonne. Hier soir douleur oculaire OD.(oeil droit) Ai repris 3 mg … Grosse fatigue tout le jour avec impression de malaise au creux de la poitrine » . Cette sensation dans la poitrine, je l’ai très souvent ressentie avant les crises explosives de rhumatisme. « Je me traîne. »

            Le 4 mai 2000 « Fatigue + , mais pas d’uvéite (grâce au collyre Voltarène ?) (= seule différence par rapport précédentes expériences) En vacances ce jour. Suis allé au bout du bout (crises de panique vers mi-avril, et syndrome de mort imminente. Traitement Lysanxia +antidépresseur) Je dors beaucoup. Fatigue - Sommeil. »
            En juin 2000 « le 29/6/2000, je constate le déclenchement d’une uvéite OG pas trop méchante. Lundi matin j’étais mal. Attribué à légère gueule de bois. Mercredi matin 28 matin, j ‘étais très mal avec sensation de malaise vagal ou cardiaque, difficulté pour respirer (je piochais). Suis passé chez mon toubib. Ne consultait pas.  Jeudi soir sans doute l’explication du  malaise (l’arrivée de l’uvéite) RV 18 h le 30/6/2000 chez Dr  G. Espère un traitement par injection. »
« Le 8 juillet 2000, je dilate l’œil plus cortisone collyre. Maîtrisé mais pas guéri »
Et ainsi de suite ... deux ans !

 

Salazopyrine et rédemption 

En juin 2004, je constatais qu’il y avait donc deux bons mois que j’allais très très bien et que je me passais parfois une semaine de suite d’anti-inflammatoires ! Cela faisait quelques années déjà que j'allais mieux. Nous l'avions essayé quand je n'ai plus pu recevoir de sels d'or, mes reins criaient stop.
La salazopyrine, un vieux médicament, me réussit, et je supporte sa toxicité .Ma vie en est changée et j’ai assez d’énergie pour affronter les petites difficultés du travail, me passionner pour mes tomates et mes trois arbres fruitiers, me lever sans y penser pour aller ouvrir la porte au chien … Le luxe, quoi. Et aussi partir parfois en petite montagne chasser ou me promener. Et n’avoir plus cette immense fatigue des années 78 à  84, avec la présence de la mort toujours en moi.

Crises  de panique

C’est le dernier avatar, et le dernier paraît chaque fois le plus terrible. C’est aussi celui qui tue, car avec ça on se jette facilement du dixième étage pour lui échapper. A ceux qui le rencontrent je conseille de se gaver de Lysanxia en en gardant sous la langue. Il est difficile d’expliquer ce symptôme. C’est une sensation dont on perçoit physiquement qu’elle se passe au niveau du cerveau, contrairement à la dépersonnalisation qui produit une très brève hachure de la mémoire, et contrairement au syndrome de mort imminente qui est perçu comme se passant  dans divers endroits du corps. Cette sensation est du domaine de la terreur absolue avec un rien de douleur d’écrasement du cerveau. Des millions de fois plus terrifiant que le plus épouvantable film d’épouvante, et on ne peut pas sortir de la salle  ...

Vieillesse

Elle arrive plus tôt pour moi que pour beaucoup d’autres, avec son cortège de soucis encore petits. Le syndrome des jambes impatientes serait peut-être lié à la spondylarthrite et à l’âge. Spondylarthrite non obligatoire, âge non obligatoire non plus ... J’ai connu – pas au sens biblique – une jeune infirmière qui souffre de ça, a les yeux secs, et le HLA B27 qui caractérise souvent les patients atteints de cette maladie, sur le chromosome 6. Regardez …
L’arthrose aura moins de mal que chez d’autres à endommager mes articulations riches en séquelles. L’opération récente de l’épaule résulte de cela.


Et maintenant (2015)

Il faut que je n’oublie pas totalement que je me suis fait greffer des béquilles qui ont trente ans et que ça fait déjà beaucoup. Et que ça va casser un jour. L’opération des vertèbres cervicales a été d’abord un succès avec une reprise du greffon. Mais les crises ultérieures ont petit à petit détruit le travail du professeur Teinturier. Un test grandeur réelle en faisant quelques tonneaux a montré que les bidouillages annexes, avec les fils métalliques, ou mes tendons, m’ont quand même permis d’encaisser un rude choc sans que ma tête ne tombe.  Les séquelles psychiques de la douleur totale ne vont sans doute jamais m’abandonner. On ne peut lutter cinquante années non plus sans dégâts dans la tête. Ces troubles psychiques ont trouvé un terrain un peu dépressif dont j’ai peut-être hérité de ma maman.

Je me demande quelle aurait été ma vie sans cette maladie. J’ai tant rêvé de voiliers sans jamais sortir du port ou presque … Et j'ai tant eu envie d'évoluer professionnellement sans oser risquer une démission. Je redoutais un arrêt de travail dans une  période d’essai avec le chômage sans fin derrière.

Et quelle serait ma personnalité ? Sur soixante années de vie, cinquante de maladie. Adolescent et adulte, je n’aurais à peu près jamais connu la forme et la santé que l’on est en droit d’espérer.  Ma chance immense est de n’avoir jamais été seul, et d'avoir cette capacité -peut-être acquise en réaction- à saisir les moments de bonheur. Dont je ne manque pas, présentement.


Revenons sur 2015, l'épaule.

On n'y échappe pas, je ne supporte plus la moindre sangle de sac, la plus légère pression sur mon épaule droite. J'ai recours à un ébéniste local, au CMC d'Aurillac. Le succès est total, deux semaines plus tard, je conduis, deux mois plus tard je dors sur cette épaule ...

J'avais flippé bien sûr. On trouve sur le blog en 2015, Je voudrais pas mourir, publié le 1 mars, J - 1 (

http://blancchasseur.blogspot.com/2015/03/je-voudrais-pas-mourir.html). Je flippais gravement, la douleur possible me terrifiait. 

Juste après l'opération, j'ai écrit  
http://blancchasseur.blogspot.com/2015/03/juste-apres.html. Pour décrire l'état de fragilité psychologique ou mental - quel serait le mot le plus juste ?- dans lequel se trouve l'opéré. 



2020 Comme prévu les béquilles ça s'use.

C'est con, mais chaque année, un peu d'usure érode mes prothèses de hanche. C'est très con, mais en ces temps reculés, on produisait des prothèses dont la tête ne peut être changée, il faut donc TOUT virer. Avant 2020, il y a eu heureusement 2017 où j'achetais un petit voilier, réalisant un rêve qui avait juste quinze ans de moins que moi. Stage, achat, bricolage, bonheur. C'est largement retranscrit dans le blog avec http://blancchasseur.blogspot.com/2017/04/souquez-lartemise.html  et d'autres

Mais en 2019, je dois me séparer de mon merveilleux Blue-Djinn, renoncer à la chasse en montagne. Je marche moins bien, j'ai davantage mal. J'atténue mes regrets grâce à l'achat un bateau à moteur un peu plus petit encore, avec une cabine minuscule, avec lequel je pêcherai, renouant avec une passion de l'enfance et de ma prime jeunesse. Cannes à pêche, canne de marche.


Mais en 2020, même sa mise à l'eau est difficile ; et tout est lancé vers l'inéluctable depuis fin 2019. Rhumatologue, radiologue, chirurgiens, anesthésiste, une litanie de RDV. La date du 16 juin, jour de ma fête, est fixée au cours du mois de mars.

Après quelques levers angoissés en avril, mon état mental devient solide et le restera jusqu'au moment T moins 25 minutes ! 

Tiré de ma page FB du ... 16 juin 2020


Hanche, acte I

Grève des infirmiers : j'y étais
Vous alliez rire … Mais si, j'y étais vraiment !
Nan ... Bien sûr, chuis pas fonctionnaire. Alors, j'étais du côté des patients. Et patient, je sais être, avec plus d'un demi-siècle d'expérience d'une spondylarthrite qui détruit mes articultions et ma vie, et qui nécessite de temps à autre une biomanisation menée par des ébénistiers de la carcasse. Des « hauts de gamme » au CHU de Clermont-Ferrand.
Depuis deux mois, la date fixée par cette nécessité est le 16 juin. Et après avoir rencontré rhumatologue, radiologue, chirurgiens, dentiste, radiologue (s), anesthésiste, dentiste, labos d'analyses médicales, je suis là, au pied du mur.
Le 15 juin à 15 heures, je fais mon entrée dans ce monde effrayant et connu de l'hôpital. Au moins, ma chambre est avec lit seul. Souffrir, chier et pisser à côté d'un autre est une initiation à la mort. Ma sœur et ma femme m'accompagnent (ma mère n'est plus). C'est presque sympa. Questionnaire, douche à la bétadine, rasage de ma cuisse gauche, dîner très correct, entrecoupés par la lecture de Baiser féroce (Roberto Saviano).
Visites de l'anesthésiste, du genre chaleureux (qui me dit qu'une grève pourrait nous poser souci), de l'interne qui m'explique abondamment l'opération, du professeur Boisgard que je juge en belle forme. Tout va bien.
Un gros cachet avant de dormir, qui contient de la confiance et de l'optimisme. Réveil à 6 heures sans clairon, re-douche à la re-bétadine, et je choisis une superbe chemise ouverte d'apparat. Re-cacheton, re-lecture, j'envoie un selfie à ma douce. J'étais un peu moins cool, le cacheton est bienvenu. L'infirmière a parlé grève aussi. Mais ça se saurait, maintenant !
8:35, reste peu de temps et j'imagine mon fémur, les perceuses et les scies, les tiges de métal, les copeaux ... Ça va aller … 8:36, l'assistant du Pr Boisgard, arrive. « Désolé, on ne peut pas opérer. Nous vous refixerons un RDV dans quelques semaines ». Il l'est vraiment, désolé. Victime d'une grève, je suis.
Un incroyable épuisement s'abat sur moi comme la grêle sur une vigne. On n'a jamais su mesurer la quantité de peur, de tension, de courage, de détermination, d'hésitation qu'on engage dans une intervention chirurgicale, de la part du patient et de ses proches.
Je fais mon sac, je m'habille, j'appelle chez moi qu'on vienne me chercher. Je ne pleure pas, car je suis un garçon. 600 kilomètres gaspillés, une chambre, le travail du personnel autour de moi, l'engagement de mes proches. Et pourtant, jamais auparavant je n'étais venu à un de mes 5 RDV avec la chirurgie avec un mental aussi bien fait. Peut-être saurai-je le refaire. Peut-être pas.
Ne devrait-on pas savoir à J-5 qui travaillera ou pas, à la fois pour les patients, merveilleux otages, et pour notre argent public, merveilleux trou, ainsi gaspillé dans une démocratie ? Les chirurgiens étaient là, le service d'orthopédie marchait, j'étais là.
Où va ainsi notre beau pays ? Plus jamais je ne regarderai le "En grève" d'une blouse blanche de la même façon. On nous raconte qu'ils travaillent quand même ; moi, j'ai vérifié.

Et là, ce 18 juin,  je me traîne. Ma sœurette est partie, mon fils est rentré, mon bateau est au sec, ma vie est entre parenthèses. Ma douce est là, Dieu merci. 
Pouah !!! Combien de temps pour recharger la batterie ???

Hanche acte II

7 juillet, c'est reparti pour le chapitre II ... Le moral est un cran en dessous, mais ça peut faire. 

En une heure, comme dans les films catastrophe, tout tourne très mal : intubation impossible ! C'était pourtant une chose connue que j'avais apportée, mais "ils" pouvaient faire face à tout ... Au bout de (trop) nombreux essais, ils renoncent, mais en me réveillant, ils constatent qu'un œdème dû aux manipulations m'empêche de respirer naturellement. Je suis juste en train de calancher, mais comme je dors, je vais me réveiller mort et très surpris.

On me sauve la mise en faisant une trachéotomie en urgence, et hop !  En réa pour deux jours, deux autres dans un service dès que je peux manger du quasi liquide, et retour à la maison avec 12 jours de soins. 

En réa, je ne comprends guère ce qu'on m'explique : on m'a fait une trachéo inattendue, et ce n'était pas pour m'opérer ? Je ne suis pas opéré ? Et un médecin dit par deux fois en causant à je ne sais qui que j'ai eu de la chance !!! Je crois en permanence m'asphyxier, ça gargouille, alors on plonge par la trachéo un tube dans les poumons pour aspirer. La première nuit je veux la passer porte grande ouverte, sansjamais baisser la garde car ainsi les sensations asphyxie sont plus rares. Cathéter artériel, cathéter veineux, sonde pipi, sonde bouffe dans le nez, énorme truc sur ma poitrine, alarmes qui klaxonnent sans arrêt, mais ce n'est pas grave. On m'a installé tout ça pendant que je dormais encore.

Les infirmières, aides soignantes, sont très pro et aux petits soins. La toilette est faite à l'eau presque froide, car l'installation est vétuste. Les financeurs pensent probablement qu'une bonne part des gens qui viennent ici n'auront pas l'occasion de s'en plaindre ...

Bientôt, une quarantaine d'heures plus tard, la machine cessera de pomper, j'aurai juste un poil d'oxygène ajouté, et on le supprimera, je respire seul, ça gargouille toujours. On me retire la trachéo avec au moins 40 cm de mèche ; on me retire 20 ou 30 cm de sonde du kiki, et plus long encore de l'estomac. Et le cathéter artériel ...

On ne meurt pas bien si on ne pratique pas un peu, probablement.  Un excellent entraînement.


Pas un millimètre  

Mais je n'ai pas avancé d'un millimètre. Tout reste devant, mais avec bien plus de questions, et bien plus de peurs. Au 19 juillet, je mange très péniblement, avec les aliments qui viennent s'installer entre les gencives et les joues, et ma lèvre que je croyais enflée, pendouille en fait un peu, ma langue n'est toujours pas normale. J'imagine que la panne d'oxygène a été sérieuse et qu'un peu de paralysie en a résulté. Ma lèvre pendouille -à peine- du côté droit. moi qui aimais bien le dessin de ma bouche.

La trachéotomie est pansée chaque jour. Sensée se refermer rapidement, elle ne le sait pas, peut-être.

On a peut-être fait des conneries. J'avais dit qu'on ne pouvait m'intuber, qu'il fallait en parler au Dr Jaud ou aux anesthésistes qui m'ont intubé avec d'énormes difficultés au bout de 40 minutes il y a cinq ans. Mais on semblait penser qu'à Aurillac on anesthésiait au gourdin ou à la gnôle, tandis qu'au CHU ... On a insisté trop longtemps probablement, au point que je serais mort sans cette ultime trachéo. Bizarre.

La dépression guette, je la sens qui appuie parfois sur mon thorax, je résiste. Mes rêves sont un poil effrayants. C'est le rhumato de ma jeunesse. Il va m'opérer maintenant, alors j'étais là pour une consultation seulement ... Je perçois l'angoisse de l'opération, le froid du bloc. Mais j'ai ma prothèse de rechange à la maison, alors je vais aller la chercher d'un coup de voiture.
Un chirurgien sympa, du genre "ça va bien se passer" me parle gentiment ... Mais il faut que je prenne moi-même deux os pour mon opération sur le corps d'une dame décédée. J'en ai un peu la nausée. "Ça" ressemble vaguement à du petit salé, et "ça" se découpe assez bien, heureusement. La morte a 45 ans, ou pèse 45 kg ...


Acte III Il faut franchir ce dernier millimètre

Tout revient heurter le réel. C'était loin, et c'est dans une semaine. Le courrier n'arrivait pas, mais il est là. Comme d'habitude, mais avec un test Covid en prime. Mon état mental est si mauvais que je ne parviens pas à envisager l'après. Ai-je peur, oui mis à quel point, je ne sais pas, c'est ma carcasse qui flippe et un énorme camion, peut-être australien, vient stationner sur ma poitrine. Parfois je m'énerve pour des riens, une sorte de contraire de moi.

Je sais qu'on tentera une péridurale (enfin une anesthésie par le rachis), pas idéale pour une intervention
 de deux heures trente, pas idéale pour le relâchement absolu de la carcasse qu'aiment les chirurgiens, peut-être dure pour le patient.

Et si pas possible on tentera de m'intuber conscient et assis. Un rêve de masochiste, peut-être. Sinon, comme on ne bloque pas les places de réa, la trachéotomie en dernier recours n'est pas programmée cette fois. Il faudrait revenir.



Le 24 février 2021 est le vrai jour J. 

Je vous en parle ce 11 juin 2021, 107 jours après l'opération. 

Après deux tentatives infructueuses d'anesthésie partielle qui durent environ deux heures, j'ai droit à celle, réussie, par une narine, en état de conscience. "Envoyez le curare" est la dernière phrase entendue et je vois un liquide coloré courir dans un tuyau avant de plonger dans le rien. Et vers 11 heures au lieu de 8 prévues, on attaque pour de vrai tandis que je dors comme un loir. Et comme tout ce qui peut merder plus merdera encore, mon fémur casse au cours des "travaux", juste au dessus du genou, lors du perçage, je crois, ou de l'enlèvement du ciment d'il y a 35 ans. Poursuite de la future cicatrice jusqu'à ses 43 centimètres record, plaque supplémentaire, vis en abondance s'ajoutent aux allogreffes, tiges, métaux et plastiques de la hanche.

La surprise est que je ne souffrirai jamais beaucoup hormis quelques heures de névralgie à la face, côté droit, celui de la narine qui a joué au pipeline. Huit jours de CHU, encore 8 d'hôpital à Aurillac, et retour à la maison. 

Kiné deux fois par semaine, progrès très lents, nuits d'inconfort. Progrès lents mais réels pendant 90 jours puis stagnation, voire recul. Je repasse de la canne de marche durement gagné à la paire de cannes anglaises, après avoir établi un record de mon plus long trek à 1.45 kilomètre sans assistance et sans oxygène.

Je suis particulièrement inquiet et vaguement désespéré, et j'ai constaté aussi qu'il manque trois centimètres à la jambe rafistolée, alors que l'objectif du chirurgien était de lui rajouter quelques millimètres. Le genou est aussi plus douloureux en journée, alors qu'il n'était pas concerné ... Rappelez-vous, c'est la hanche qu'on réparait.

Visite à mon chirurgien ce 10 juin. Le bon point est que tout ce qui a été posé est consolidé. Les mauvais sont que la jambe ne repoussera pas de 3 centimètres, que le genou souffre très probablement des modifications 
imperceptibles de sa géométrie dues à l'opération et à la casse du fémur, et à l'usure relative des cartilages. Dire que ce genou ne m'emmerdait plus depuis quarante ans !

Quel sera mon état pour les noces de diamant avec ma spondylarthrite, en 2024 ? les paris sont ouverts. Il est peu probable que le gravisse l'Everest pour marquer l'étape.

21 février 2024, 3 ans après l'opération

Toujours vivant, je marche avec une canne, mais je peux rester debout deux heures en terrain plat les bons jours. Je pêche en bateau l'été. Finie la chasse en montagne et la chasse tout court. 

Je reste un homme heureux, même si je suis de plus en plus un homme vieux, qui passe souvent dix ou vingt jours sans sortir la voiture.


3 commentaires:

  1. Après avoir lu tous tes soucis de santé,la souffrance,la trouille qui te gagnes, mes problèmes de santé semblent inexistants

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  2. Un grand merci pour ce témoignage, ça me donne la pêche, j'étais un peu inquiet mais grâce à vous, je sais que c'est surmontable :)

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  3. Si ma vie se rejouait, je serais plus enclin à tenter d'autres médications existantes. La salazopyrine existait, on ne l'essaya pas sur moi plus tôt et ma vie en aurait été changée très probablement.
    Du côté des régimes alimentaires, j'aurais testé le "sans produits laitiers" sûrement, et le sans gluten peut-être...
    Je suis heureux que mon histoire vous ait aidé un tout petit peu.
    Du côté de cette affection, je n'ai jamais été aussi bien qu'à l'heure actuelle.
    Courage!

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Merci de réagir, mais avec douceur et courtoisie.