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mercredi 6 septembre 2017

Dégât des os


J'aurais aimé titrer "Fortune de mer". Ça aurait eu de la gueule et ça y ressemble un tout petit peu. Mais c'était dans ma cour, un lundi ... Alors, après un "Dégât des eaux", ce «Dégât des os » ira bien.



Qui aurait cru qu'un voilier se transporte par la route ? Ben si, quand ils sont petits. Mais pas à la voile quand même ...  Pratique quand on sait les places de ports rares et chères, ou quand on veut naviguer ici et là. Mais je n'imaginais pas la quantité et la complexité des problèmes possibles avant de flotter enfin. Problèmes de remorque et de remorquage, de mâtage et de démâtage, de grûtage et de mise à l'eau ...

Marin-rêveur, j'arpentais depuis des mois la littérature sur le levage des mâts des petits voiliers, et les œuvres cinématographiques s'y rapportant, des productions Youtube de marins. Rien à voir avec du Gogol ou de l'Hemingway, rien d'approchant avec du Cimino ou du Clouzot non plus … Des explications, des croquis, des bouts d'images. Pour transporter un petit voilier, il faut évidemment ôter le mât. Et forcément le remettre pour naviguer. Pour mon petit bateau, un rugbyman ou un décathlonien échapperaient à l'ardente obligation que j'ai de contourner mes faibles capacités physiques par un "système de poulies et de renvois"


La scène de crime

Et j'ai commandé le nécessaire, des bouts, des manilles, des cadènes, des mousquetons ... J'ai jeté mon dévolu sur le système inventé par "Henri", dont l’œuvre à la fois littéraire, graphique et cinématographique m'avaient convaincu. Il avait équipé ainsi Daria, son joli voilier Edel. Mais la conviction ne rend pas architecte (naval) pour autant, et moins encore charpentier de marine. Le système Henri est expliqué sous ce lien. Ce sera d'ailleurs une mienne interprétation de ce système, en fonction de l'outillage et des pièces à ma disposition


micro-poulie, 2 manilles, cadène, anneau, mousqueton, pontet ...


Et un beau lundi, armé de mes deux mains gauches et de mon enthousiasme, je sors de leurs emballages les trésors concoctés par Chronopost et Mondial Relay. Le pont de mon fier voilier est vite encombré de drisses colorées que je coupe, noue et renoue, de pièces inoxydables rutilantes, et de quelques poulies et outils basiques. Je fixe manilles, anneaux, bouts, je fais et refais des nœuds de chaise pour approcher les longueurs nécessaires, des tours morts et des clés à répétition ... Malgré la fin tragi-comique de cette aventure, je ne vous épargnerai aucun des mots techniques ingurgités avec gourmandise et par nécessité. Finalement, ne sachant comment fixer une cadène dans les règles de l'art, j'opte pour une patte d'oie dans le prolongement de l'axe de pivotement du mât. Vous êtes verts, hein ?


Il me manquait d'ailleurs une cadène de grande longueur qui eût été idéale pour accueillir les deux bouts latéraux sur le bastaing à vocation de chèvre ** qui remplacera le tangon que je n'ai pas (vous êtes vert foncé, maintenant ?) ... Et aussi des taquets coinceurs pour régler idéalement la longueur des bouts sur le bastaing. 


Bon, la version courte : je veux installer un système de levage, destiné à démultiplier ma force pour ériger le mât de 7.45 mètres tout en le sécurisant pour qu'il ne s'échappe pas d'un côté ou de l'autre. Car les dégâts que cela pourrait produire sur le bateau, sur le marin et sur l'environnement immédiat sont à envisager. 


A 16 heures, presque prêt mais fourbu, je fais la pose. On verra demain ... Appeler un copain en renfort peut-être, démarrer en douceur après un dernier contrôle du système et de tous ses nœuds, et ne pas faire l'économie d'une réflexion sur les forces et les faiblesses de cet appareillage interprété à ma façon, pour d'éventuelles corrections ...


Et puis non, j'ai trop envie d'essayer ... Une vis costaude remplace bravement la cadène idéale, absente, et ne déméritera pas. J'ai mis en appui le bastaing verticalement sur une plaque de caoutchouc anti-dérapante au pied du mât, la compression devant faire œuvre de fixation. Je ne résiste pas à mouliner un peu le winch "pour voir", pour lever le doute sur les conséquences du pré-levage un peu limité. Diable, mais ça monte ! Eurêka ! Je suis grand !!!


Le mât parcourt 20 à 30 degrés ... Il penche un peu à bâbord me semble t'il. Bizarrerie géométrique ? J'arrête. Demitours-je *** ? Heu ... comment, d'ailleurs ? Côté tribord mes bouts sont tendus à bloc, et un peu mous à bâbord, ce qui paraît normal dans cette occurrence ... Donc je suis paré, me dis-je, ça retiendra forcément tout mouvement supplémentaire vers bâbord ... Je me dépêche donc, et comme c'est moins dur avec la verticalisation, je vais vite, approchant déjà des 60 ou 70 degrés. Et soudain je sens comme un relâchement dans le winch (?), le mât part vers l'arrière, côté bâbord et me bouscule rudement. J'étais posté sur le winch de ce côté, précisément ... Mais le mât en me frappant sèchement m'envoie au tapis qu'il n y a pas pour amortir le contact, et m'évite aussi toute possibilité de laisser traîner une main ou un bras près du winch qui le réceptionne.

Cheville râpée- juste la peinture, hein- , côtes endolories, mais hanche salement secouée : je marche difficilement et douloureusement, mais, le pire n'étant jamais sûr, j'espère qu'il n'y a rien de grave. 

Ma carrière de marin transportable s'arrêtera t'elle ici ? Je ne sais pas, mais celle de charpentier de marine va vers des développements nouveaux et inattendus, dès que je serai rétabli, car il faut bien réparer. Il ne manquera que le bistrot du port pour aller causer technique.



gros plan de la casse et éclat du pied de mât


*** chèvre ou bigue, engin de levage antique
***du verbe demitourir, troisième groupe, qui signifie faire demi-tour, et que je viens d'inventer juste pour vous.

8 commentaires:

  1. c'est en matant qu'on devient matelot ;-) Pla

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  2. Courage dans.....cette épreuve .......

    Le marin est courageux et inventif, on ne fait pas d’omelette sans cassé des œufs...

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  3. Et puis non, j'ai trop envie d'essayer ...

    Je fondais l'espérance qu'avec l'age on gagne en sagesse... je me rends compte que pour certains ce n'est peut-etre jamais le cas... un monde et une espérance s'effondre... suis-je condamner à surfer sur des blogs, faire des blagues douteuses et "essayer pour voir" pour le restant de mes jours.

    La lecture de ce blog m'a rendu bien amère d'un seul coup... ou heureux (il y a peu être pire que de rester éternellement jeune finalement) :-)

    Bon retablissement White !

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  4. Sans vouloir te conseiller, j'ai remarqué que tu aurais du descendre ton genois.
    Sinon, ce systeme marche très bien ... quand on n'a pas de casse.
    Je te souhaite de bonnes balades avec ton BD.
    Bernard

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    1. Je le ferai probablement pour le descendre.
      Un système de type Compass, avec des bastaings les plus courts possibles me semblerait la solution la plus sûre. Mais quelle longueur est minimum is the question.
      ... Ou un bateau à moteur.

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  5. Prose magnifique ! La défaite n'en est que plus grandiose.

    Je n'ai pas compris pourquoi ça a merdé en fait. Qu'est ce qui a si lâchement lâché dans ton montage ?

    Courage, il FAUT se remettre à l'ouvrage : l'option "bateau à moteur" est la seule tâche de ton roman.
    Matage et démâtage sont les deux mamelles auxquelles je compte m'abreuver dans les mois prochains sur un petit tri... D’où ma compassion et toute mon attention.

    Bon rétablissement ! (le physique ça a l'air d'aller... Mais qu'en est il du moral ?)

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Merci de réagir, mais avec douceur et courtoisie.